10 ans de Just Dance : les raisons du succès planétaire du jeu Ubisoft
10 ans déjà que les danseurs amateurs du monde entier se déchainent dans leur salon grâce à la licence Just Dance. Produits par Ubisoft, ces jeux 100% Made in France ont su tenir la distance et s’adapter à tous les joueurs. Seul ou à plusieurs, junior ou senior, sportif ou agitateur de manette depuis le canapé, tout le monde a sa place sur le dance floor !
Rémi Blanc, Professeur délégué de l’axe Jeux Vidéo de l’IIM, a travaillé en tant que Game Designer sur 7 Just Dance, du 4 au 2019. Il a vécu en direct l’évolution de la licence, et revient sur les raisons de la réussite du phénomène vidéoludique.
Quelles sont les origines de Just Dance ?
L’idée de Just Dance vient en fait d’un mini-jeu dans Les Lapins Crétins Shows (un jeu style Mario Party dans l’univers des Lapin Crétins) développé par Ubisoft. Dans ce mini-jeu, les joueurs devaient reproduire les pas de danse des lapins avec la wiimote et le nunchuk. L’envie de développer ce petit jeu en quelque chose de plus conséquent s’est vite fait sentir. Le titre du jeu vient de la chanson de Lady Gaga…pour laquelle nous n’avons eu les droits qu’en 2014 !
Le motion gaming était aussi en plein essor en 2009, et un jeu comme Just Dance était parfait pour surfer sur cette tendance et montrer le potentiel de la Wii. Le jeu s’est d’ailleurs vendu sur la Wii jusqu’au Just Dance 2020, déjà comme une sorte d’hommage, mais aussi car la console est encore beaucoup utilisée par notre cible de joueurs.
Comment se passe le travail sur un jeu comme Just Dance ?
Just Dance est très spécial par rapport à d’autres jeux. Globalement, le travail se divise en deux teams : Map Factory, qui s’occupe du contenu, des chorégraphies, du visuel, de la gestion des danseurs, etc. et Production, qui se concentre plus sur le gameplay, l’interface, les différentes features et l’apport de nouveautés chaque année.
Pour savoir comment faire évoluer le jeu, on s’intéresse aux pratiques des joueurs. Par exemple, on a fini par déterminer que dans les premiers jeux, les enfants, qui n’arrivent pas bien à reproduire les mouvements du coach, font des scores plus bas que les adultes, ce qui peut les démotiver. C’est ce qui nous a amené à développer un mode kids, plus adapté. L’intégration du mode milti-joueur pour Just Dance 2014 s’est aussi fait en fonction de notre public ciblé, qui est plutôt constitué de joueurs « casuals » que de gros gamers. On a donc pensé le mode multijoueur, le Wold Dance Floor, comme une discothèque connectée au monde entier, avec une playlist aléatoire. C’est plus accessible, moins orienté « jeux vidéo ».
Pour ce qui est du développement des jeux, on commence avec les réalisateurs, les chorégraphes et les danseurs. Ils font plusieurs tests, et quand la chorégraphie est finalisée, on tourne un premier jet en costume. Si le rendu est bon (et si le costume n’entrave pas le danseur dans ses mouvements !) on peut filmer la chorégraphie sur fond vert, pour que puissent ensuite être ajoutés les différents effets vidéo. Ce sont les Concept Artists qui vont se charger d’imaginer le décor, et qui donnent tout leur dynamisme aux vidéos.
L’équipe Ubisoft qui travaille sur Just Dance est très grosse, mais nous gardons un esprit « fait-maison » et bon enfant. Déjà, nous avons beaucoup de liberté créative, tout est fait en interne, nous n’avons pas d’exigences extérieures.
L’ambiance est aussi festive que le jeu : à tout moment, un danseur en costume de panda peut vous faire le show ! Les 3/4 de l’équipe ne sont pas danseurs, mais nous prenons tous beaucoup de plaisir sur les jeux et sur le développement.
Ça aide pour cerner notre cible, qui ne constitue pas non plus des danseurs professionnels. La choré sur Final Countdown ( Just Dance 4) reste mon meilleur souvenir : avant, la plupart de programmeurs n’osaient pas trop tester les danses, et c’est celle-ci qui a fédéré tout le monde, avec sa choré fun en duo.
Comment se fait le choix des morceaux ?
C’est LA grosse difficulté dans le développement des Just Dance, car il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte. Déjà, il faut avoir les droits ! Il y a donc beaucoup de négociations à faire avec les majors. C’est le directeur de la création qui choisit la playlist. Il faut généralement 1/3 de hits de l’année, 1/3 de chansons familiales, et 1/3 de chorégraphies décalées. Le côté « WTF » est très important, c’est un peu l’image de marque du jeu. Le ratio danses solo/duo doit aussi être équilibré.
Pour les hits de l’année en cours, il arrive parfois que le morceau en question ne soit pas sorti pendant le développement du jeu. Les majors nous envoient donc une première ébauche du morceau, avec son genre, son rythme et d’autres informations basiques, pour qu’on puisse déjà imaginer la chorégraphie. Nous laissons toujours 5 morceaux de marge, pour potentiellement ajouter des nouveautés à la playlist peu de temps avant la sortie du jeu. Avec ce ratio, nous arrivons à attirer plusieurs démographies, aussi bien ceux qui aiment les hits modernes que ceux qui préfèrent les classiques ou ceux qui aiment les chorégraphies absurdes.
Niveau chorés, la difficulté, c’est de ne pas se louper sur les titres populaires pour ne pas faire de déçus. Parfois, les joueurs aiment la chanson, mais n’apprécient pas la choré, ce qui peut créer des frustrations. l’inverse se remarque, et dans ce cas-là c’est plutôt positif, car cela permet de faire découvrir de nouveaux titres aux joueurs.
Pourquoi Just Dance réussit à tenir la durée après 10 ans ?
Tout d’abord, actuellement, le jeu n’a aucun concurrent. Mais ça n’a pas toujours été le cas ! Vers la fin des années 2000, début 2010, les jeux de rythme, de danse, de zumba etc. étaient très populaires sur la Wii. Pour la danse, le principal rival de Just Dance était Dance Central, qui fonctionnait avec un coach virtuel, en motion capture, contrairement à Just Dance où les coachs sont de vraies personnes filmées, avec une personnalité et des caractéristiques qui leur sont propres. Cela donne un aspect plus humain. Les coachs sont des personnages à part entière qui participent à la popularité de la licence, et certains sont très appréciés par les joueurs, comme notre fameux panda, ou encore le Russe de la chorégraphie sur Rasputin.
Dans Dance Central, tu sens que tu es dans un jeu vidéo, alors que ce n’est pas forcément ce que cherchent les fans de Just Dance, qui encore une fois ne sont pas de gros gamers. Just Dance est présenté comme un média, un support pour danser, et non comme un jeu vidéo. Il faut donner l’impression au joueur que c’est lui qui danse à l’écran, et cet effet ne peut être produit qu’avec le facteur humain.
Enfin, Just Dance propose des morceaux de tous les genres musicaux et de toutes les époques, au contraire de la saga des Guitar Heroes par exemple qui s’est cantonnée aux classiques et qui a fini par ne plus être rentable, car les joueurs restaient à leurs anciennes versiosn sans forcément acheter les nouvelles.
Comment Just Dance s’exporte à l’étranger ?
Globalement, les versions de Just Dance restent les mêmes d’un pays à l’autre, à un ou deux morceaux près. La version française par exemple inclut certains hits francophones, comme du Stromae, du Tal, ou plus récemment du Aya Nakamura. La plus grosse différence est pour la version japonaise, qui a un accord exclusif : c’est Nintendo qui publie Just Dance au Japon (ce qui est d’ailleurs un cas rare.) Il est très difficile pour un jeu étranger de se vendre au Japon.
Pour convenir au public japonais, la playlist est composée de 50% de morceaux internationaux, et 50% de J-pop. Certains morceaux japonais se sont d’ailleurs glissés dans les autres versions du jeu, comme du Vocaloid, car le genre est très populaire dans le monde entier. Just Dance s’applique à faire une playlist variée, avec des morceaux de plusieurs origines différentes, pas uniquement anglophones. Il y a nottamment pas mal de Bollywood, dont les chorégraphies sont surveillées de près par des chorégraphes Indiens. Les chorégraphies sont donc culturellement exactes, ce qui apporte un côté pédagogique aux jeux. On a remarqué que Just Dance s’exportait aussi particulièrement bien au Brésil. Le champion du monde 2014 et 2015, Diegho San, était d’ailleurs Brésilien.
Qu’en est-il de l’aspect compétition de Just Dance ?
La scène compétitive de Just Dance est une communauté extrêmement active et passionnée. Depuis 2014, les joueurs s’affrontent au Just Dance World Cup, dont la sélection a d’ailleurs lieue en France lors de la Paris Games Week. Les joueurs s’entraînent tous les jours !
Just Dance a beaucoup poussé l’aspect compétition du jeu vidéo, et a eu un bel impact sur l’Esport, car cela cible un public large. C’est aussi très divertissant d’assister à la compétition Just Dance grâce aux participants qui font le show, contrairement à pratiquement tous les autres jeux. Ce côté attrayant aide à démocratiser l’Esport. Chaque année, les développeurs travaillent à améliorer les features des prochains Just Dance pour les joueurs compétitifs, mais il ne faut pas délaisser les autres joueurs non plus et trouver un bon équilibre. L’idée de Just Dance reste, après tout, que tout le monde peut danser. Il suffit juste de se lancer !
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Informations mises à jour le 16 Déc 2022