La « data révolution » dans le marketing digital
Matthieu Deboeuf-Rouchon, responsable de l’axe métier web et e-business, s’intéresse à la primauté de la data dans les stratégies de marketing digital et, à plus grande échelle, dans les stratégies de développement opérées par le Top Management des entreprises.
Publiée dans la célèbre Harvard Business Review, la tribune de M. Deboeuf-Rouchon examine la co-dépendance entre le marketing digital et la data.
Le marketing digital est-il devenu data dépendant ?
La data est partout, à toutes les étapes du parcours d’achat, traçant de manière systématique et constante les moindres comportements d’un consommateur, à la fois dans ses usages mais aussi, et surtout, dans ses rapports aux messages qui lui sont adressés. La data ne transforme pas seulement les stratégies marketing, elle transforme les organisations en général et le business en particulier (lire aussi l’article : « Le Big Data, une révolution du management »). Cette « data revolution » est une suite logique à la transformation digitale.
Une transformation qui s’opère à plusieurs niveaux : transformation de l’individu dans ses rapports au quotidien avec autrui, transformation de la société en mutation qui s’adapte à ses propres changements dans un esprit darwinien et transformation de l’organisation qui doit composer avec les deux révolutions précédemment citées. Les sociétés subissent en quelques années à peine une vague de changements plus forte que durant les cinq dernières décennies. Le spectre de la disruption et des « barbares » – ces entreprises qui arrivent sur un marché de manière disruptive et génèrent plus de valeur que les acteurs historiques – plane au-dessus de toutes les organisations encore hésitantes à évoluer et qui, telles des étoiles étincelantes, sont en fait déjà mortes. Ne pas manquer cette opportunité d’épouser un nouveau modèle organisationnel est donc l’enjeu du top management.
La « data revolution », quant à elle, est particulièrement forte et vient, contre toutes attentes et comme une confirmation des impacts de la transformation digitale, positionner le client au centre de l’écosystème. Par la même occasion, la data porte en elle une nécessité de transversalité, d’œuvre commune, de stratégie globale portée par tous les collaborateurs dans un seul et unique but : optimiser ses actions business et densifier la vision ROIste (fondée sur le retour sur investissement). Chaque action doit être mesurable, objectivable et perfectible.
Ne pas se structurer « data driven » revient à ne pas avoir compris les enseignements de la dernière grande révolution sociétale qu’est le digital. La transformation digitale nous a enseigné l’importance de l’agilité et la capacité à s’orienter client. La révolution data nous montre l’importance d’être réuni autour d’un bien commun, un capital volatile, décroissant et fugace : le client.
Un client ne nous accorde (au mieux) que la moitié de son attention.
Avec près de 60% de la population française mobinautes et 28 millions d’objets connectés d’ici 2 ans, le mobile et l’Internet of Things (IoT) sont devenus des incontournables de la captation de données permettant, presque sans limite et dans un flou législatif certain, d’initier un nouveau paradigme du marketing. Comportements, usages, réactivité, localisation, engagement… Tout est captable, analysable et réactionable. Les stratégies « Solomo » (sociale, locale, mobile) et « Atawad » (Any Time, Any Where, Any Device) peuvent aujourd’hui prendre une véritable résonance et créer de la valeur en lieu et place de simples campagnes « push ».
La connaissance de son client, couplée le plus souvent à l’utilisation du business analytics des data en 1st party (c’est-à-dire les données en propre d’une société, celles qu’elle possède), permet une augmentation de 30% à 50% de la satisfaction client mais surtout l’accélération de la croissance du CA jusqu’à 33% et la multiplication des marges au minimum par 10.
Ce client, ultra sollicité, mobile, en migration constante, n’est plus un simple segment à positionner dans un « panel ». C’est un individu désireux d’être perçu comme unique et à la recherche d’un nouveau type de relation avec une marque. De fait, les méthodes désormais archaïques de relation marque/consommateurs ne sont plus en phase avec leurs attentes. Comment, dès lors, être efficace ? Comment passer dans un mode de séduction, initier une relation client plus fine et offrir une expérience de marque cohérente ?
Dans un parcours d’achat ROPO (Research Online Purchase Offline) ou PORO (Purchase Online Research Offline), les points de contact avec la marque, physiques ou non, doivent être cohérents et offrir les mêmes services, les mêmes informations. Chaque interaction doit permettre une remontée d’informations pour mieux qualifier ce client dans un CRM (Customer Relationship Management) ou plus largement dans une DMP (Data Management Platform). Les technologies de pistage comme les cookies et les pixels tags ont encore de beaux jours devant eux malgré la croissance forte du marché des Ads blockers (logiciels antipub, NDLR).
Le Display est mort, vive le Display
Devant ce parcours client plus complexe, à la fois online et offline, mobile ou encore social, les investissements display tels qu’ils sont conçus depuis des années (acheter de l’espace publicitaire online comme de l’espace traditionnel) sont désormais en décroissance et à la recherche d’un souffle nouveau visant à optimiser le ciblage des campagnes en fonction de variables comportementales, transactionnelles, etc.
Les nouveaux outils nous permettent d’avoir une vision Kpiste (fondée sur les indicateurs de performance) et ROiste. Nous sommes entrés dans une ère qui nous offre un regard neuf dans l’approche de nos actions marketing. Jusqu’alors dictées par les études et les segmentations sociologique et démographique, la data et son instantanéité nous permettent de nous affranchir de ces « normes » pour entrer dans une vision probabiliste.
C’est ainsi que le Real Time Bidding (RTP, ou programmatique) pénètre peu à peu les départements marketing allant jusqu’à représenter plus de 50% des investissements display dans de nombreuses structures (lire aussi la chronique : « Le programmatique : comment tirer parti de cette révolution qui bouleverse la relation client »). Pourquoi un tel engouement ? Grâce à la capacité, quand les algorithmes sont efficaces, à prendre une enchère sur un espace publicitaire en fonction de plusieurs milliers de paramètres comme la géolocalisation, l’horaire, une info cookie, le tout en moins de 120 millisecondes. Parler encore de segments 25-35 ans ou CSP+ ne tient plus.
De la programmatique simple à la programmatique créative
Dans une course effrénée à l’optimisation, le Real Time Creative (RTC) devient le nouveau levier des marketeurs avec, à la clé, des résultats indécents.
Suite à un profilage assez précis de l’audience connue de Legendary Entertainment pour la sortie du film Warcraft, un profilage des bassins d’audience a permis d’établir des micro-segments liés aux intérêts des consommateurs comme la relation orcs/humains, les scènes de combats, l’univers du jeu… Les équipes de production ont ainsi pu monter de multiples bandes annonces différentes. Ces trailers, adressés à des bassins d’audience en fonction d’un profil thématique micro segmenté, ont comptabilisé près de 100 millions de vues en à peine une semaine. Les exemples en la matière ne manquent pas. La programmatique pénètrera, à terme, de façon totalement naturelle le offline comme Coca-Cola a pu le faire fin 2014 dans les métros d’Amsterdam et Rotterdam, invitant les consommateurs à partager leurs vœux avec leurs proches par le biais d’un dispositif digital participatif. Le couple RTB-DOOH (Digital Out Of Home) promet des campagnes fantastiquement efficaces.
L’avenir du marketing réside donc aujourd’hui dans la capacité d’une société à micro-segmenter, de manière intelligente, des bassins d’audience précis, pour être en adéquation parfaite avec les attentes consommateurs.
Accepter « l’invisible publicitaire »
Avoir une vision ROiste de ses campagnes et adresser des messages dynamiques a néanmoins un inconvénient majeur. Les traditionnels 4×3, le mal nécessaire à l’existence de votre marque vis-à-vis de vos collaborateurs ou partenaires, vous rendront souvent invisible à qui n’est pas dans la cible. Mais diffuser les résultats des campagnes et le retour sur investissement à budget équivalent n-1 lèvera vite les doutes des réfractaires aux stratégies data-driven.
Toutes les études et chiffres clés démontrent bien que la plupart des sociétés (72%) qui collectent des données sur leurs clients et leurs usages ne sont pas en mesure de les exploiter ou de les rendre activables. La data est à l’image d’Internet dans les années 90, un « test and learn » permanent. Le principe d’une « data driven company » est de rationnaliser au global. La vision ROIste vise à supprimer toutes actions non rentables ou non efficaces. La data permet de développer le chiffre d’affaires en ciblant mieux ses campagnes, tout en dépensant moins.
Informations mises à jour le 28 Nov 2016