S’il était vivant, Léonard de Vinci aurait probablement réalisé des jeux vidéo
Apprendre de Léonard – Partie 4. A l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, les écoles du Pôle Léonard de Vinci reviennent sur les traces du génie pluridisciplinaire dont l’influence est encore ressentie aujourd’hui. Suite de la série « Apprendre de Léonard » avec Thomas Nicolet, Responsable de l’axe Jeux Vidéo à l’IIM.
Simple medium, nouveau divertissement ou véritable art à part entière, le débat fait rage depuis des années sur l’identité de ce que l’on appelle communément le « jeu vidéo ». Ce nom lui a tout naturellement été donné en référence à ces premières itérations iconiques qui tournaient toutes autour du jeu : Tennis For Two, Pong, Space Invaders, Pacman. Avec un nom aussi enfantin faisant penser, aux yeux des néophytes, à un jouet, il est assez normal que beaucoup le considère encore comme un simple divertissement immature et très en deçà de ce que les autres formes d’art peuvent transmettre. Et pourtant, le jeu vidéo est bien plus que cela.
Jeux Vidéo : une culture et un art à part entière
Il suffit de jouer à des œuvres parmi les plus reconnues pour se rendre compte de la richesse du jeu vidéo. Les émotions, les sensations ou les messages qu’il aborde sont souvent transmis d’une manière si puissante et novatrice qu’il a su, au fil de son existence, toucher le cœur de centaines de millions de personnes. Le débat semble d’ailleurs avoir été tranché puisque la cour suprême des États-Unis a reconnu en 2012 le jeu vidéo comme un art, six ans après le Ministère français de la Culture qui avait nommé plusieurs de ces créateurs de génie Chevaliers de l’ordre des Arts et des Lettres.
Et comme toute forme d’art avant lui, le dixième (art) n’existerait tout simplement pas sans les artistes qui le font vivre et lui donnent une identité propre au fur et à mesure de leurs créations. Au cours de sa jeune histoire, se trouvent donc des femmes et des hommes qui en ont été les pionniers, les visionnaires ou les génies et qui l’ont façonné à la force de leur passion, de leur travail et de leur immense talent. Des Shigeryu Myamoto, des Tim Shafer, des Will Wright, des Eric Chahi, des Jenova Chen, des Hideo Kojima et bien d’autres qui, par leurs œuvres particulièrement touchantes et novatrices, ont poussé le jeu vidéo plus loin et ont prouvé qu’il était véritablement cette forme d’art majeure qui marque aujourd’hui durablement le 21e siècle.
500 ans auparavant, celui qui est considéré comme l’un des plus grands génies de tous les temps, Léonard De Vinci, mourrait en laissant derrière lui des œuvres majeures dans de nombreux domaines : peinture, architecture, anatomie, sculpture, génie civil, ingénierie militaire… Cet esprit génial aura su, tout au long de sa vie, explorer tous ces domaines, nous prouvant ainsi magnifiquement que tous les sujets lui servaient à exprimer sa créativité sans limite…
Allez, soyons fous l’espace d’un article. Essayons de rendre hommage au maître, et permettons-nous de fabuler un petit peu : si Léonard avait été vivant au début des jeux vidéo, il est quasi-certain qu’il serait aujourd’hui à l’origine de l’un d’eux et qu’il aurait marqué l’histoire. Oui, affirmons-le. Et à bien y réfléchir, ce n’est prendre que très peu de risques que de dire cela. Si nous y regardons de plus près, le maître avait, sur le papier, tout ce qu’il faut pour devenir un réalisateur de jeux vidéo absolument génial.
Léonard de Vinci, créatif, artiste et ingénieur
Le jeu vidéo est un mélange, une espèce d’alchimie étrange entre de la technique pure, que l’on doit maitriser, et une sensibilité artistique, que l’on doit exprimer. Une alchimie qui pourrait faire peur à quiconque ne se sent pas à l’aise sur l’un de ces deux aspects, mais qui n’aurait probablement pas effrayé Léonard, bien au contraire.
D’un côté, il s’agit de maitriser une technique qui permettra de réaliser un jeu : programmer des interactions avec un langage compréhensible par un moteur de jeu, créer des visuels en 3D complexes qui sont animés en temps réel par la machine, optimiser l’intelligence artificielle des personnages non-joueurs afin de les rendre crédibles, créer un moteur physique qui permettra à un objet de devenir un élément du gameplay… Et, de l’autre, il faut être capable de transmettre des émotions au joueur afin que son humanité soit « touchée » par l’œuvre à laquelle il participe : imaginer un univers riche, dessiner un personnage pour en traduire sa personnalité, jouer une musique à un moment précis pour intensifier une action, proposer au joueur de faire un choix cornélien, écrire des dialogues touchants…
Comme le disait Frank Lantz lors d’une conférence à la GDC en 2014 : les jeux vidéo combinent tout ce qui est difficile dans la construction d’un pont avec tout ce qui est difficile dans la composition d’un opéra. Les jeux vidéo sont des opéras que l’on compose avec les techniques de construction des ponts.
A partir de cette définition qui résume bien ce qu’est le jeu vidéo, il est particulièrement aisé d’imaginer Léonard de Vinci utiliser son sens inné de la pluridisciplinarité afin de le mettre au service de réalisations aussi complexes. Quelqu’un qui fut à la fois artiste (peintre, sculpteur, musicien, conteur, illusionniste…) et scientifique (architecte, ingénieur civil et militaire, anatomiste, cartographe…) n’aurait eu aucun mal, voire aurait été très enthousiasmé, à l’idée de pouvoir exprimer sa sensibilité artistique lié à son sens de l’observation, tout en ayant une approche d’exactitude scientifique que requiert la maitrise technique en général. Réaliser un jeu vidéo aurait été un challenge créatif à la hauteur du génie de Léonard.
Repousser les limites de l’inconnu
Il existe un point commun chez tous les grands inventeurs qui est leur capacité à se projeter dans ce qui n’existe pas encore. Comment concevoir quelque chose que l’on n’a tout simplement jamais vu ni même expérimenté ? Comment même l’imaginer ?
Le jeu vidéo est un art qui, depuis sa naissance, n’a cessé de repousser les limites de l’inconnu, qu’elles soient techniques ou artistiques. Lorsqu’il est apparu, tout était à faire, tout était à inventer. Les notions de gameplay, de gamefeel, de 3C, de narrative design, de courbe d’apprentissage, de level design ont été autant d’aspects compliqués à découvrir alors que la technologie ne cessait elle-même d’évoluer : IA, moteur physique, 3D temps réel, internet, VR, AR…
C’est quelque chose de bien connu des développeurs : travailler dans le jeu vidéo, c’est avoir la possibilité sans cesse renouvelée de repousser les frontières de l’inconnu. Et les créateurs qui ont fait la renommée du jeu vidéo ont bien souvent été, en fait, les inventeurs, soit de nouveaux genres, soit de nouvelles techniques, innovant à chaque œuvre, et pavant le chemin pour les suivantes.
Léonard, à coup sûr, aurait été l’un d’eux. A son époque, le monde n’était pas (technologiquement) prêt pour les inventions du génie italien. Et pourtant, cela ne l’a pas empêché d’avoir cette formidable capacité à flirter avec les limites de l’inconnu en imaginant des inventions qui prendraient leur sens bien plus tard : le scaphandre, la mitrailleuse, le véhicule blindé, la machine volante, le parachute, l’hélicoptère… Ses inventions prouvent par leur grand nombre que, bien qu’elles aient été ignorées des universitaires et des riches mécènes de l’époque, Léonard était suffisamment passionné pour être parfaitement à l’aise dans cette posture de pionnier repoussant les limites de l’inconnu.
Créer des expériences immersives et touchantes
On le sait maintenant, à la lecture de ses carnets et de ses croquis, Léonard était avant tout un fin observateur. Il passait parfois des journées entières à observer la nature qui l’entoure afin d’en comprendre son fonctionnement. Ce sens de l’observation était surtout une irrésistible envie de comprendre et de décortiquer afin de pouvoir ensuite créer une œuvre puissante, que ce soit en terme de concept ou en des termes plus artistiques. Rendre l’invention ou la création les plus parfaites possibles quitte à ne parfois jamais les finir. Comme disait le maître : « les détails font la perfection, et la perfection n’est pas un détail. » Ainsi, il s’inspira des oiseaux pour inventer ses machines volantes, des membranes du poisson volant pour ses palmes de plongée, et même de la forme d’un coquillage pour réaliser l’escalier du Château de Blois. Dans ses carnets, il écrivit « tout instrument doit être le fruit de l’expérience » et nul doute que Léonard, s’il avait pu réaliser des jeux vidéo, aurait mis en application cet adage pour créer des œuvres poignantes. Lui qui considérait qu’un tableau devait être « une ouverture sur le monde », il aurait probablement utilisé son sens inné de l’observation pour retranscrire des expériences uniques et très immersives pour interroger le joueur.
Car l’originalité du jeu vidéo réside dans le fait qu’il n’y a ni spectateur, ni observateur, ni auditeur. Le joueur est considéré en tant que tel car il est en réalité acteur de l’œuvre. Sans lui, rien ne bouge, sans lui, le jeu n’existe pas. Qu’aurait alors fait Léonard ? Se serait-il contenté, après les avoir observées de dessiner des fleurs ? Ou aurait-il repoussé les limites et proposé au joueur d’incarner l’une d’elles dans un vol magique et poétique tel que l’a fait par exemple Jenova Chen dans le jeu Flower ?
Qu’aurait-il fait s’il avait été là ? Qu’aurait-il créé s’il avait pu accéder à la 3D, à la programmation ou à la réalité virtuelle ? Comment nous aurait-il surpris ? Que nous aurait-il appris ?
En 2009, est sorti le jeu Assassin’s Creed 2, dans lequel le personnage central, Ezio Auditore da Firenze, rencontre Léonard de Vinci à Florence. Au cours de l’une de leurs rencontres, Léonard aide Ezio à voler avec l’une de ses machines volantes. Ce fut l’occasion pour les créateurs du jeu de rendre hommage au Maitre en faisant revivre, l’espace d’un instant, l’une de ses inventions les plus iconiques lors d’un vol au-dessus d’une Venise reconstituée en 3D.
A l’instar de son avatar virtuel qui aide le joueur à voler et accéder à l’inaccessible grâce à son génie, nous aurait-il aidé aujourd’hui à emmener le jeu vidéo encore plus loin ?
Image de mise en avant : Léa Amati
Informations mises à jour le 07 Jan 2020